Accéder au contenu principal

Alice au pays des merveilles, genèse d'un mythe psychédélique

Il est clair, nous vivons une sacrée époque. Cette année, il est plus difficile pour nous de s’évader. Les musées sont fermés, les salles de cinéma aussi… Le monde de la culture marche au ralenti. C’est dans ces moments là que le fantastique peut nous sauver. Quoi de plus dépaysant qu’aller à la rencontre de créatures merveilleuses, de visiter des univers magiques... Aujourd’hui, je vous propose d’embarquer pour le pays des merveilles.


Nous sommes en 1862. Un certain essayiste et professeur en mathématiques nommé Charles Dutwidge Dogson, profite d’une ballade en barque sur la Tamise. Il est accompagné d’amis, mais aussi de trois jeunes filles. Alice, l’une d’entre elles, lui demande de raconter une histoire. Pour la distraire, le futur romancier imagine l’aventure fantastique d’une jeune fille au même prénom, qui après être tombée dans le terrier d’un lapin, se retrouve dans un autre monde. Alice est fan de l’histoire au point de supplier son auteur d’en faire un livre. Il se prend au jeu, et lui offre deux ans plus tard comme cadeau de Noël une histoire appelée « Les aventures d’Alice sous terre ». L’aventure sera même déjà illustrée. Les amis de l’auteur y voit un grand potentiel et poussent Caroll à publier son oeuvre. Après quelques modifications, dont le titre qui sera changé en « Alice au pays des merveilles », le manuscrit sera édité et publié en 1865, sous le nom de Lewis Caroll … En 1871, 6 ans plus tard, le même auteur ne manquera pas d’imaginer une suite, Il publie cette année là « de l’autre côté du miroir ».

Le roman raconte l’histoire d’Alice. Alors qu’elle s’ennuie avec sa soeur, elle surprend un lapin traverser la pièce. La bête a des yeux roses, est habillée d’une longue veste et porte une montre à gousset. Lorsque le lapin passe vers Alice, il s’écrie qu’il est en retard. La jeune fille le suit dans son terrier, puis après une longue chute se retrouve dans un monde fantasmagorique, absurde et dénué de sens. Au départ, lorsque Lewis Caroll raconte l’histoire à la jeune fille, il s’agit bien d’une improvisation. Mais la version publiée demeure extrêmement riche et audacieuse, ce qui en fera un succès dès sa sortie. Bien que le roman soit considéré aujourd’hui comme un classique de la littérature jeunesse, à l’époque Caroll s’adresse à un public plus âgé. En apparence, l’histoire pourrait ressembler à un simple comte, Mais le Pays des Merveilles imaginé sous la plume de l’auteur réserve bien des subtilités. 
Sur le plan littéraire, Lewis Caroll détruit les codes classiques. Il n’est pas rare d’avoir au milieu du récit des jeux verbaux complexes, des chansons et des devinettes… Son roman est une sorte d’orgie fantaisiste: Un éventail fascinant de personnages tous plus déjantés les uns que les autres, Une sorte de comte féérique psychédélique et illogique Historiquement, le fantastique a toujours servis à observer et juger le monde qui nous entoure. Bien souvent, c’est une charge contre le matérialisme bourgeois, et le monde d’Alice n’y échappe pas. Il faut reconnaitre, l’auteur se sert de la fantaisie pour ainsi critiquer un modèle d’éducation Victorien qui manque alors de fantaisie à l’époque. 

150 ans passés, le monde des merveilles fait toujours parler de lui. Si le roman de Lewis Caroll se hisse comme un monument de la culture populaire aujourd’hui, c’est grâce à sa postérité. Déjà en 1903, deux réalisateurs britanniques mettent en scène le tout premier film Alice au Pays des merveilles. Il s’agit alors film muet de 8 minutes… Mais déjà dès les années 20, un certain monsieur Disney produit une série de courts-métrages… les Alice Comedies. 56 courts métrages ont été réalisés entre 1924 et 1927… Mais ça, c’était avant un des grands tournants de l’oeuvre.   

On est en 1951. L’écurie Walt Disney s’agrandit, avec ce nouveau film sur les aventures d’Alice au pays des merveilles. Mais la production du long-métrage débute dès les années 30. Le projet prend du retard, La seconde guerre mondiale est passée par là, et Walt Disney est tourmenté. Il désire mélanger prises de vues réelles et animation, mais l’idée sera mise de côté plus tard. Jusque là, plusieurs films avaient déjà été fait sur Alice, et il faut bien reconnaitre: C’est une oeuvre très difficile à adapter. L’histoire est décousue, l’écriture est complexe, déstabilisante, et cerise sur le gâteau … il n’y a pas de progression logique. Mais on le sait, adapter une oeuvre c’est aussi la trahir. Le studio s’accorde plusieurs libertés et proposera sa propre version des aventures d’Alice. Chose qui ne séduira pas forcément à sa sortie. Mais pour bien d’autres raisons, le film n’attire pas le public. C’est même un échec. 

Il faudra attendre les années 60 pour le mouvement hippie s’empare de l’œuvre. Il sera même hissé comme une des bases de la culture psychédélique. Car il faut bien reconnaitre une chose, plusieurs scènes sont ambigus, et l’univers d’Alice constitue un bon trip sous LSD. Pour preuve, Jefferson Airplane, groupe précurseur du mouvement signe en 67 White Rabbit, un de ses plus grands tubes. Une référence directe au lapin blanc où le texte évoque les effets du LSD. Aussi Syd Barret, membre fondateur de Pink Floyd aura lui aussi comme principale source d’inspiration les écrits de Lewis Caroll. 

Mais revenons en au cinéma. Bien qu’on ai eu d’autres adaptations depuis le dessin animé, beaucoup retiendront le remake live de Disney sorti en 2010. Et qui de mieux que Tim Burton pour s’en charger, grand amoureux su fantastique, de macabre et d’ironie. Sa version d’Alice au pays des merveilles sera son plus grand succès commercial. 

Il faut bien l’avouer, Lewis Caroll a irrigué la pop culture avec son histoire. Avec son héroïne, il offre une certaine représentation de l’enfance. C’est avec mélancolie qu’il l’aborde comme un paradis perdu. L’image de cette jeune fille naïve qui perd ses repères dans un monde qui l’a dépasse sera reprise de nombreuses fois. Au cinéma, les réalisateurs mettent en scène et usent cette figure pour ainsi parler de l’enfance et de la quête d’identité. 

En 1977 par exemple sort dans les salles ce qui sera un des plus grands films d’épouvante de tous les temps, Suspiria. Dario Argento, son réalisateur y propose une relecture horrifique du roman de Caroll. … Avec l’histoire de cette jeune danseuse parti étudier dans une école à l’étranger… A la manière d’Alice, elle évoluera dans une école lugubre et mystérieuse, où les phénomènes paranormaux se multiplient. 
La postérité de l’oeuvre n’est pas exclusive au cinéma. Alice au pays des merveilles reste un indétrônable en librairie. Avec son univers graphique extrêmement riche, beaucoup de dessinateurs illustrent le conte à leur manière. Mais d’autres médias se sont emparés du livre pour s’en inspirer à l’opéra ou en jeu-vidéo par exemple. 
Lewis Caroll a légué derrière lui un univers immense. Son impact sur notre culture populaire est insondable. Tout ça on le doit à son imaginaire. 
Lui-même disait « Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ? » Alors, en ces temps difficile, où seul l’imaginaire peut nous faire voyager depuis chez nous, Quoi de mieux que se replonger dans ce pays des merveilles…

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Dracula et le cinéma

                        Dracula et le cinéma. Le personnage de Dracula n'aura cessé de fasciner les réalisateurs de films. Effectivement, le succès du roman demeure intouchable, et le mythe n'arrête pas de s'enrichir au fil des années grâce aux adaptations de la créature sur grand écran. Certains longs-métrage se démarquent, notamment celui de Werner Herzog, Nosferatu, fantôme de la nuit en 1979, ou encore la réecriture la plus populaire, celle de Francis Ford Coppola, Bram Stoker's Dracula sorti en 1992. Par ailleurs, Coppola aura été le plus attentif à l'écrit du père de Dracula car son film reste un des plus fidèles au roman. Certains cinéastes ont tenté des approches différentes en passant de la parodie au dessin animé, puis d'autres en élaborant des suites par exemple. Le mélange entre le mythe et la réalité est parfois transposé, comme dans l'adaptation de Coppola. Dans cette dernière, Coppola reconstitue un moment de la vie de Vlad Tepes :

Docteur Frankenstein, la dernière réecriture de l'oeuvre culte de Mary Shelley

En 1818, la jeune anglaise Mary Shelley publie son œuvre désormais connue de tous, Frankenstein (ou le Prométhée moderne). Oui, nous pouvons parler d'un « énième hommage » à cette oeuvre fantastique car le fameux monstre de Mary Shelley est déjà apparu dans de nombreuses salles de cinéma auparavant. Aujourd'hui, on compte 40 mises en scènes de la bête dans diverses films, dont le premier réalisé en 1910.    Dès sa parution, Frankenstein est catalogué en tant que roman gothique, grâce à son histoire sordide contant l'histoire du docteur Victor Frankenstein, scientifique ayant pour but de créer la vie, mais d'une manière peu commune… En effet il concrétisera son projet avec l'assemblage de débris de cadavres humains. Avec l'aide de son associé Igor, il s'aidera de la découverte du paratonnerre pour animer sa « bête ». L'expérience va-t-elle bien se dérouler ? A vous de le découvrir. Cependant, intéressons nous à cet énième hommage cinématograp

"Mon Bébé", 10 après Lol.

Plus de 10 ans après Lol, Liza Azuelos revient avec “Mon bébé”. Sorti fraîchement en salle hier, le film est présenté comme une sorte suite de sa comédie devenue culte (du moins pour ceux de ma génération). Obsédée par les thématiques de l’adolescence, des relations mères-filles et de l’euphorie des premiers amours, la réalisatrice revient avec cette nouvelle comédie. Le long-métrage vous dévoile la vie d'Héloise (interprétée par Sandrine Kiberlain), l’archétype de la quarantenaire un peu “bobo” divorcée. Sa vie est bousculée lorsqu'elle apprend que la plus jeune de ses filles, Jade, compte bien quitter le cocon familial pour aller étudier au Canada. Pendant les quelques mois avant le départ, la mère poule tente tant bien que mal de profiter de son bébé, avec pour obsession de tout le temps la filmer avec son smartphone par exemple. Plutôt bien accueilli et même récompensé au festival du film de comédie à l'Alpe d'Huez, on aurait pu espérer voir